Versant psychique de la grossesse

 

 

 

« De la globalité de la naissance »

« LE VERSANT PSYCHIQUE DE LA GROSSESSE »
(D.O. oct. 2000)

« Quelle inquiétante étrangeté quand les mères chancellent … » FREUD  



Dans cette étude il faut préciser que la clientèle (4500 cas) appartient à toutes les couches sociales. Ces femmes dites « normales » (puisqu’elles ne sont ni en état de précarité ni en décompensation névrotique ou psychotique) ont une demande : bien accoucher et (ou) bien faire pour l’enfant. Elles sont donc très souvent volontaires pour un travail sur elles de prise de conscience, avec comme outil de support les techniques sophroniques (cf.: la Préparation Globale).

Une première expérience de psychomotricienne m’avait fait constater la fréquence des naissances difficiles chez les enfants justement en difficulté.

En reprenant mes études pour devenir Sage-Femme, dans le but de favoriser l’eutocie mais surtout de faciliter l’accouchement, j’étais loin d’imaginer que pour cela, j’allais devoir m’aventurer en expérimentateur sur le versant psychique de la maternité… Il allait me permettre d’apporter maintenant l’argument suivant pour défendre l’accouchement naturel : grossesse et accouchement sont en fait un passage psychique pour la mère bien plus important qu’on ne pense, car il peut conditionner sa relation à son enfant et par là même la vie d’adulte de celui-ci.

De nombreuses publications internationales explorent actuellement les corrélations existant entre ce qui s’est passé au moment de la naissance et ce qui se passe plus ou moins longtemps après. Par exemple :

La corrélation entre la médicalisation et la désaffection rapide de l’allaitement maternel, ou encore la corrélation entre la toxicomanie à l’adolescence avec l’administration de drogues pendant l’accouchement (le protoxyde d’azote).

Une autre étude a mis en évidence des relations existant entre des situations obstétricales difficiles (forceps, souffrance fœtale, pré-éclampsie ou travail très long) associées au rejet maternel et la violence chez l’enfant devenu adulte. Si les deux conditions sont réunies, on observe une augmentation considérable du risque de violence et de crimes à cet âge (1). D’autres études en cours actuellement aux États-Unis sont alarmantes car il est fait état de médicaments étant administrés aux enfants : psychotropes, et Prozac par exemple. Si on réfléchit bien, nous en sommes là bas à la 3ème génération de médicalisation.

Dolto disait qu’il fallait trois générations pour qu’une psychose s’installe. L’enjeu est donc bien plus important qu’on ne pense.

Pour mieux comprendre cela, il faut nous pencher sur le phénomène complexe de la maternité.

La fréquentation des psychanalystes et des chercheurs, l’expérimentation directe en préparation à la Naissance et en salle d’accouchement, m’ont permis pendant quinze ans de rendre plus efficace mon travail de prévention.

L’étude de la sophrologie médicale (notamment les structures et niveaux de conscience) a été déterminante par les connaissances et les outils apportés.

Enfin, les thérapies après un accouchement traumatique, l’écoute de centaines de femmes, jointe à une démarche psychanalytique, m’ont permis de comprendre ce qui se passe dans l’inconscient d’une femme qui devient mère, et comment la qualité d’une naissance peut agir sur le comportement maternel et la santé physique et psychique de l’enfant.

LA GROSSESSE PSYCHIQUE

1) Définition : les mécanismes en cause


Dans cette hypothèse de travail la grossesse physique devient la partie visible d’un phénomène complexe dont le moteur serait au départ « psychique ».
C’est en fait une véritable crise de mutation profonde que va vivre pendant neuf mois la future mère, pour élaborer en elle-même une nouvelle fonction : « le devenir mère de cet enfant là »…

Ce travail n’est donc pas l’exclusivité des primipares ! En effet on n’attend pas psychiquement un premier enfant comme on attend un second, selon son propre rang dans la fratrie (frères et soeurs). Pour se construire en tant que parent la future mère va utiliser tous ses « patterns » (modèles éducationnels) : l’exemple de sa mère, celui de son père et celui de leur relation particulière à chacun de leurs enfants : c’est cela qu’a enregistré son inconscient de petite fille.
Mais l’enfant a une position inconsciente face à ses parents : il adhère à leurs comportements ou il s’oppose. Ce qui fait que la future mère aura à la fois une position consciente et inconsciente face à cet apprentissage : elle va reproduire, s’opposer, réparer, innover ou…. se chercher.

Ce travail psychique est induit par une remontée de l’inconscient dans le conscient. Cet état de « transparence psychique », nommé par Winicott (2) « préoccupation maternelle primaire » va perdurer 3 à 4 mois après l’accouchement, d’après mes observations. Les souvenirs d’enfance émergent, les conflits aussi : c’est une période marquée par l’ambivalence des sentiments (je veux et je ne veux plus être mère) très culpabilisante, et une instabilité émotionnelle propre à tout état de crise et renforcée ici par l’imprégnation hormonale…

Ce travail de construction intérieure à partir des modèles parentaux a fait dire à Monique Bydlowski (3), médecin et psychanalyste « l’enfant devient alors enfant de leur propre enfance ». Elle parle de « regard intérieur » quand elle évoque l’attitude des femmes enceintes c’est à dire leur aptitude à rêver et à imaginer.

La psychanalyste c. Bergeret-Amselek emprunte au psychiatre psychanalyste Racamier le terme de maternalité
(condensation de maternel, maternité et natalité) pour définir la crise de grossesse : « la maternalité est une période privilégiée car favorisant le vécu de chocs anciens et permettant à celle qui la vit de se soigner. Cette crise peut être organisatrice pour le psychisme à condition d’être accompagnée, développée et contenue… C’est la période la plus dangereuse pour l’identité » (4).

Ayons simplement en mémoire les dépressions du post partum et la redoutable psychose puerpérale qui mettent en évidence la profonde implication psychique (et pas seulement « affective, émotionnelle ») de l’accouchement. Le baby blues banalisé, médicalisé parle déjà en lui-même !… Ce travail psychique est préliminaire à l’installation de la fonction maternelle (présence psychique et soins au bébé). Dans mon travail de recherche j’ai observé que la « résolution » de la majeure partie de la crise passait par l’attachement progressif à l’enfant. Enfin, j’ai observé qu’en aidant les mères à faire ce chemin en elle même avant l’accouchement celui-ci devenait beaucoup plus facile (5).


2) L’inconscient et ses interactions

L’inconscient est ce que nous avons oublié ou « refoulé » (car trop douloureux). C’est donc un contenu absent dans le conscient, mais qui va agir comme un élément pulsionnel… Pour en simplifier la compréhension, nous utilisons en sophrologie médicale, le schéma de Jung (6) celui-ci décrit la conscience humaine comme fonctionnant sur le mode de l’iceberg : la partie émergée (le conscient) est soumise aux courants (les pulsions) qui entraînent la partie immergée (l’inconscient).

 

DÉTAIL DU SCHÉMA
Moi = la personnalité.
Persona = l’image et comportement social de l’individu.
Conscient collectif = mode de fonctionnement de la société (actuellement c’est la peur autour de la maternité).

Sc = seuil de censure qui sépare le conscient de l’inconscient.
Subconscient = l’histoire personnelle de la vie intra-utérine jusqu’à ce jour.
Inconscient Personnel = positionnement inconscient face à un événement.
Inconscient Familial = histoire de la famille.

La particularité du travail psychique de la grossesse est la perméabilité du seuil de censure (transparence psychique). Les premières couches font irruption dans le conscient, provoquant une déstabilisation du Moi, voire même un morcellement…

Dans ce schéma, Jung définit les trois premières couches, comme individuelles (l’histoire de l’individu lui même) par opposition aux trois dernières qui sont collectives (inconscient ethnique, collectif et biologique). Cependant ces derniers vont interagir ne serait ce que par l’influence culturelle et ethnique…

Il est à noter que l’effet d’une sophronisation est l’abaissement du seuil de censure par les états modifiés de conscience, ce qui amène le sujet à identifier ses mécanismes comportementaux, notamment ses pulsions en situation de stress, donc à mieux les gérer… C’est une démarche volontaire, ponctuelle qui, par la répétition, conduit à l’autonomie…

Cette similitude dans les variations de niveau de conscience fait de la sophrologie un outil approprié à la grossesse, car il permet notamment de rendre conscients les phénomènes inconscients, donc il contribue à la « résolution » de la crise (5).

La crise en elle même (et les effets de la transparence)


Pour la primipare c’est un grand passage psychique :
fille de ses parents elle doit devenir parent de son enfant. Plus le passage se fait tôt dans la vie et plus il est facile. Il suit un processus « logique » de transformation débutant à la crise d’adolescence : c’est une continuité. C’est la raison pour laquelle les très jeunes femmes sont connues pour leurs accouchements faciles.

L’accès à l’état « adulte » aux responsabilités professionnelles ne donne pas la même insouciance… Cependant certaines futures mères vont vivre leur transformation « à bas bruit », apparemment sans grand bouleversement : peut-on parler de capacités innées pour ces femmes ? Nous y reviendrons.
Monique Bydlowski parle de « dette de vie »: cette mission impossible (mais indispensable à la bascule des générations) à laquelle l’inconscient de la future mère va se trouver confronté :
Faire aussi bien que sa mère ?… serait la détrôner d’un modèle idéal pour la petite fille.

Faire mieux qu’elle ?… encore plus !

Faire moins bien serait lui laisser tout pouvoir ! . . .

L’identification à la mère explique en partie les corrélations existant entre la naissance d’une petite fille et la façon dont elle accouchera plus tard : c’est la fidélité inconsciente.

Les conflits mère/fille sont fréquents. Ils sont une réactivation de l’enfance (mères filles conflictuelles) ou une tentative de désidentification (mères/filles fusionnelles) : « j’ai besoin de mettre de la distance entre ma mère et moi… et elle ne l’accepte pas ! »… disait récemment une patiente.

Le « devenir Mère » étant en place on comprend mieux pourquoi les seconds accouchements sont plus faciles en général. C’est en observant les accouchements rapides des secondes ayant été césarisées en premier, que j’ai pris conscience que le passage n’était pas que somatique. Mais parmi les raisons qui font qu’une mère peut accoucher plus difficilement de son second que de son premier enfant, on peut trouver des liens avec la place qu’elle occupait dans sa fratrie ; c’est là où les multipares continuent à être interpellées sur le plan psychique : par exemple une seconde « mal aimée » par rapport à ses frères et soeurs peut avoir de la difficulté, adulte, à vivre sa grossesse et à accoucher de son second surtout si c’est une fille : on appelle, cela une peur « transférentielle ».

Attendre un enfant ramène toujours à la mère qui est la référence première. Attendre une fille peut ramener l’inconscient aux interactions avec les filles de la famille. Attendre un garçon interpelle en plus la relation au père et au frère.

Mais l’inconscient est aussi fait de celui des grands-parents et arrière-grands-parents qui ont déjà donné une transmission à leurs enfants : on observe ainsi, des répétitions, des coïncidences, des dates anniversaire, des habitudes familiales comme celle d’accoucher par le siège depuis quatre générations connues. C’est le domaine de la psychogénéalogie (6) le mandat, « transgénérationel » du Pr. Lebovici (7) une science appelée à se développer car facile à explorer.

Dans la transparence psychique il y a confusion entre les événements présents et passés. Éclairer les futurs pères sur le fonctionnement psychique de la grossesse me semble important. Une de mes patientes me disait récemment :

Il m’a dit : « passe-moi le sel et depuis, j’arrête pas de pleurer ! »

Cela vous ramène à quelque chose de précis dans le passé ?…

… Je crois bien. Mon père n’arrêtait pas « d’agresser » ma mère : il disait qu’elle ne salait pas assez ! C’était juste avant leur divorce ».

Ou encore :

« Il ne s’occupe pas de moi, il rentre, prépare le repas et va faire la chambre du bébé.

Le repas… la chambre du bébé, c’est quand même pour vous deux ? Il ne vous parle pas ?…

Si, bien sûr ! mais il fait comme mon père : quand il rentrait, il partait bricoler dans le garage. Ma mère était toujours toute seule ! ».

Pour conclure cette approche de la grossesse, j’ai observé une particularité dans le fonctionnement psychique de la future mère : elle associe la croissance du fœtus et l’évolution de la grossesse à sa capacité à être mère. « Votre bébé ne grossit pas assez » est source d’angoisse maxima car interprété ainsi : « je ne le nourris pas assez, je suis donc pas capable d’être mère ».

Toute parole en consultation est interprétée sur ce mode par l’inconscient, on comprend mieux pourquoi la surveillance actuelle axée sur la pathologie et de dépistage de la malformation peut être pathogène pour le psychisme maternel, car elle remet en question, par les doutes qu’elle soulève, tout le travail d’élaboration intérieure spontanée du devenir mère, nécessaire pour l’accès à la fonction maternelle. En effet tout le questionnement de la préoccupation maternelle primaire pendant la grossesse et après l’accouchement est le suivant : « suis-je assez bonne, moi, pour devenir mère ?… suis-je assez bonne, moi, pour m’occuper de cet enfant ? ».


3) Le travail psychique en question

Comment la future mère va-t-elle utiliser ses « patterns » ?

Cela va dépendre de son positionnement inconscient de petite-fille face aux modèles comportementaux et pour la femme adulte de sa position consciente de future mère. C’est ainsi qu’il va y avoir soit discontinuité ou réparation, opposition, innovation, répétition… Le travail de la grossesse peut être aussi de chercher son positionnement : ce sont ces jeunes femmes anxieuses, qui ont perdu leurs repères, qui sont isolées et manifestement en quête d’identité… C’est en cela que la grossesse psychique est un passage dangereux.

Pour illustrer la discontinuité, j’évoquerai le cas difficile des enfants battus, qui ne battront pas forcément leurs enfants : c’est le phénomène de résilience. Certains auteurs ont observé 28 à 42% d’échappement à la répétition. (9)

De même on pourrait penser que plus l’enfance est douloureuse, plus la grossesse psychique est difficile. C’est à peu près cela… Pourtant nous verrons certaines femmes vivre des grossesses épanouies et des accouchements faciles et d’autres traverser une véritable « crise » et somatiser. Insomnies, prise de poids excessive, H.T.A, M.A.P sont autant de troubles, de plus en plus associés à des conflits d’ordre psychologiques.

Certains auteurs commencent même à parler d’une « approche psychosomatique globale de la dynamique gravidique »… (10) Il est à noter cependant que les femmes aux « patterns » douloureux vivant des grossesses faciles, sont pourtant à risque psychique important, surtout en cas d’accouchement traumatique, comme nous le verrons dans l’article sur l’accouchement. Au sujet de la « réparation », il peut y avoir répétition apparente dans la similitude des fratries (passée et présente) c’est relativement fréquent et très anxiogène quand l’histoire a été difficile… Il n’est pas impossible qu’il n’y ait là une tentative de « réparation »: « je fabrique le même scénario en changeant les personnages et leur mode relationnel : du coup je répare mon enfance » (cas clinique N°l), c’est très déstabilisant pendant la grossesse et il est nécessaire de l’identifier.

Plus dangereux peut être le phénomène de « réparation/opposition », s’il n’est pas « travaillé ». Je pense surtout à la jeune future mère qui va fuir dans « l’idéal », pour être bien sûre de ne pas reproduire, ses patterns disfonctionnels. Le risque est l’accouchement difficile, la brutale confrontation au réel et le rejet de l’enfant « associé » alors par l’inconscient à la violence du passé (cf étude N°3 de l’introduction et cas clinique N°l dans l’article sur l’accouchement). Dans le phénomène de rejet ou d’abandon, il faut entendre aussi « abandon psychique » (celui ci ne se voit pas pour l’oeil non averti) la jeune mère peut continuer à donner des soins de nursing.

C’est là où quel que soit le positionnement, le rôle de la mère (mère réelle ou transférentielle, parfois une grand-mère) va être capital. Premier « objet d’amour » pour l’enfant, elle est la matrice psychique de l’individu : si pendant les trois premières années ou au moins la première, elle a donné suffisamment d’attention et d’amour à l’enfant, celui-ci est « étayé«  intérieurement et plus structuré, face aux difficultés.

« Pour avoir été si forte, et vouloir si bien faire pour l’enfant, c’est que malgré vos épreuves, votre mère vous a aimée quand vous étiez bébé » m’arrive t-il de dire à mes patientes.

Que se passe t-il pour les femmes adoptées ou en travail d’adoption ?

Les premières utilisent les patterns de « leur famille d’adoption ». Les modalités de la grossesse psychique sont les mêmes : le risque cependant est l’émergence brutale du « souvenir d’abandon ». Les repères
« mère biologique » et « mère psychique » qui étaye les aident à se positionner. Mais « l’abandon » est un sujet trop grave, trop diamétralement opposé à l’étayage, pour qu’on puisse envisager l’aborder en quelques phrases. Tout dépend aussi de l’âge d’adoption… Les femmes qui adoptent un enfant vont vivre une vraie grossesse psychique, malheureusement non reconnue, avec si cela n’a pas été fait, le deuil de l’enfant biologique à faire. Elles devraient être aidées, car ce sont elles qui vont donner « l’étayage psychique » à l’enfant abandonné, devenu leur enfant.

La répétition des « patterns » jugés fonctionnels est de loin la plus confortable. C’est ce qui crée les habitudes familiales, de génération en génération. Le regroupement autour de la future mère de ses mères et grands-mères est infiniment « contenant ». Dans les familles harmonieuses où les anciens montrent la voie, il s’agit là d’une véritable transmission de femme à femme, on pourrait dire de solidarité, quand il y a respect des rôles.

Aussi, que dire de notre société en crise ? L’éclatement tant géographique que structural des familles (divorces, familles recomposées) créant inquiétude et isolement, la désinformation, la surveillance médicale invasive, sont autant de facteurs de stress pour la jeune mère, dans la déstabilisation du passage psychique de la maternalité…

Nous venons d’évoquer quelques modalités de choix psychique en fonction des « patterns », nous allons aborder maintenant un aspect fondamental du « Devenir Mère ». L’état fusionnel ou « de complétude » qui va naître de la similitude avec l’état initial (in utéro), où nous sommes « contenus » (fœtus) dans un contenant (la mère).

L’état harmonieux du sujet adulte est de se vivre séparé, « manquant » de l’autre sexe ; l’état de régression est la recherche d’un contenant… Hier contenu, aujourd’hui contenant, l’état fusionnel est le même pour l’inconscient de la femme enceinte, d’autant plus nous l’avons vu, que le passé fait éruption dans le présent.

La difficile mission maternelle sera
d’accepter le détachement :

physiquement et c’est l’accouchement

psychiquement, plus tard, et c’est le rôle essentiel du père (le père réel ou l’homme qu’aime la mère) de façon à ce que l’enfant devenu adulte puisse se vivre « séparé », ayant la liberté de son choix de vie et de ses désirs…

Toute femme enceinte porte à la fois la complétude et la séparation. Dans le questionnement : suis-je assez bonne pour être mère ?… L’enfant est-il normal ? il faut comprendre :
« moi sa mère, pourrai-je lui permettre de se développer normalement dans sa vie d’homme et (ou) de femme ? »… D’où les alternances de plénitude et d’inquiétude vers la fin de la grossesse… S’il est impossible de tout évoquer du travail psychique, on peut citer quelques constantes.

4) Les constantes de la grossesse psychique

a) L’état de régression : fusion/confusion entre le « MOI-bébé » et ce bébé dans mon ventre… période de régression on l’a vu vers le « MOI-petite fille ».

b) L’état d’angoisse face à la bascule des générations : la mère devient grand-mère, ce qui évoque sa fin de vie.

c) La difficulté à passer de l’insouciance de l’enfance à la maturité du parent (cf le questionnement). Les commentaires positifs de la surveillance médicale peuvent alors aider, encourager : « votre bébé grossit bien » (traduit par l’inconscient « Donc je suis capable »).

d) Les rêves
: très révélateurs du travail psychique

« j’ai rêvé que j’avais accouché mais que j’oubliais de le nourrir »…(!)

« j’avais accouché, mais je ne voyais pas mon Bébé »…

« j’avais accouché, mais il n’était pas… complet !…

Fréquent, ce dernier rêve inquiète car il active la peur archaïque de l’enfant anormal. Si le premier rêve peut être pris au premier degré (il évoque bien le questionnement inconscient) les deux autres sont symboliques : il faut traduire enfant par « attachement » c’est lui qui n’est pas là, ou pas complet, car c’est l’enfant qui fait la mère : c’est ce qui est symbolisé là.

 

e) Les peurs :


personnelles : elles sont en rapport avec l’histoire. L’accompagnement permet de les identifier donc de lever l’angoisse.

archaïques
: l’enfant anormal physiquement (suis-je capable moi de faire un être « entier ») et psychiquement (voir plus haut).

* peur de mourir physiquement (on mourrait encore en couches il y a deux générations) et psychiquement (c’est le passage)

* peur d’éclater physiquement (distension douloureuse d’un lieu réservé au plaisir) et psychiquement, et concomitant : « l’éclatement » entre deux pulsions : je retiens, je me sépare

actuelles : la grossesse considérée comme une maladie et l’accouchement comme un acte dangereux nécessitant une haute technicité sont l’évolution actuelle de la « douleur » judéo-chrétienne. Cette forme de pensée aggrave les peurs archaïques et personnelles. Largement diffusée par les médias, colportée par « la pensée unique », cette peur actuelle, jointe à l’isolement et les patterns difficiles, est iatrogène, et amène les femmes sur le versant de la pathologie.

Pour mieux comprendre nous allons voir l’impact du psychisme maternel sur les « somatisations » de la grossesse.

Magali me fut adressée à 36 semaines avec le diagnostic suivant « paroi utérine trop tonique pour la perception des mouvements fœtaux », ce qui d’ailleurs ne semblait pas trop la gêner : l’enfant était voulu, mais la grossesse vécue comme un handicap : « je préfère l’oublier, j’ai trop vu ma mère se traîner ! » disait-elle… en travaillant en visualisation le « devenir mère » et l’accouchement, j’allais observer pendant 15 jours, et en accéléré, avec la perception des mouvements fœtaux, les petits troubles habituels s’installer : insomnie, remontées acides et contractions utérines.

« Je ne resterai pas longtemps comme ça », me dit-elle un jour, « vos techniques,  je vais m’en servir et accoucher très vite!… et ma petite fille fera un jour comme moi » ! Cela se passa comme elle l’avait dit…. quelques heures après !

« Ma fille » ou « mon fils » ou « mon bébé » vont apparaître à différents âges de la grossesse selon les femmes. Ils sont synonyme d’attachement, la clef de voûte de la fonction maternelle. C’est l’enfant qui fait la mère, nous allons voir comment.


5) Les interactions materno-foetales « l’activateur »


Les travaux sur la sensorialité fœtale et notamment la mémorisation montrent que l’enfant est un être « percevant » (11). Ainsi à la naissance le bébé fait la différence entre l’odeur de sa mère et celle d’une autre femme. Il a été possible de démontrer ses capacités de mémorisation lors d’une séquence lue ou chantée par la mère.

Le remarquable travail de Marie Claire Busnel (12) sur la variabilité du rythme cardiaque fœtal en fonction des émotions et du ressenti maternel (variabilité identique avant et après la Naissance), outre l’intérêt scientifique, induit au respect devant l’unité émotionnelle mère-enfant.

Les connaissances de ces travaux et (ou) une réelle intuition font que les jeunes mères actuellement, de plus en plus souvent interagissent spontanément avec leur bébé par un certain toucher auquel le fœtus répond.

Véritable activateur de l’attachement, le bébé accompagne sa mère somatiquement (le mouvement) à franchir en elle même le passage « à devenir mère de cet enfant là ».

Dans mon observation, des mères se sont dites « interpellées par l’enfant »: « il a frappé, régulièrement et très fort à un endroit précis… j’ai tapé aussi, il est venu se mettre sous ma main ». D’autres vont solliciter elles même : le secret c’est d’être sûre que le bébé va répondre... Le franchissement psychique se fait à différents âges de la grossesse : on observe un premier passage très important au début du 9ème mois. L’expérience m’a montré que ce passage est capital car il facilite l’accouchement qui en est « la somatisation ».

Que devient alors l’enfant imaginaire ?

« L’enfant merveilleux » décrit en psychanalyse qui donne, je pense la force de vivre la traversée des neuf mois et celle de l’accouchement ne sera pas abordé, dans cette étude… En effet, nous l’imaginons, en sophro, d’une façon tout à fait non directive : la mère se voit dans sa relation avec lui, à différents âges de l’enfance, tout en le sentant « in utero ». C’est ce qui permet la mise en relation précoce, tout en ne perdant pas la notion de confrontation au réel… Les futures mères apprennent à identifier leurs fantasmes, spontanément ne lui donnent pas de visage précis, mais se laissent envahir par l’émotion de la rencontre…

 

6) Le travail du père


Ce qui gêne beaucoup les futurs pères dans leur accès à la parentalité, c’est justement que leur corps ne peut pas « mémoriser » la présence de l’enfant : « nous, on ne le sent pas, vous comprenez » !

Cependant, sans bouleversement hormonal, ils vont faire un vrai travail psychique tout à fait analogue à celui de la future mère. Certains mettent en place leur « devenir père » avant la naissance et interagissent avec l’enfant, ce qui a un effet sécurisant pour la future mère… D’autres, incapables de conscientiser auront besoin de « voir » le bébé pour se sentir père…

Le rôle du père pendant la grossesse est éminemment important. Il fait partie intégrante de la Préparation Globale. Dans le meilleur des cas, il devient le « contenant » de la dyade mère fœtus.

 

7) Cas cliniques


Ils illustrent bien les somatisations de la grossesse psychique. Françoise me fut adressée à 27 semaines par son médecin à bout d’arguments thérapeutiques face aux bronchites, gastro-entérites, troubles de toutes sortes à répétition depuis le début de la grossesse. Elle se décrivait alternant crise de surexcitation et d’asthénie. Elle dormait très peu et faisait beaucoup de cauchemars : « je rêve de mes frères » ! Spontanément elle parla de son enfance maltraitée : cadette, tyrannisée par deux grands frères de 10 et 11 ans plus âgés, jaloux de l’amour du père et « complices » de la mère, elle décrivait son enfance comme un enfer. Maltraitée le jour, adulée le soir quant le père rentrait, elle avait fuit à 18 ans, s’était mariée. Elle avait deux grands garçons de 10 et 11 ans et attendait… une fille !

J’attirai son attention sur le phénomène de répétition qui la laissa très surprise. Je suggérai un programme inconscient de réparation comme si elle fabriquait la même histoire mais en la réparant :

« Comment étaient ses garçons ? et son époux… les personnages se ressemblaient-ils ?… »

« Absolument pas ! » me dit-elle.

« Et vous-même, comment vous imaginez-vous maman d’une petite fille, après les deux garçons ? »

« Je veillerai au grain, croyez-moi ! mais les garçons sont trop gentils ! et puis mon mari n’a rien a voir avec mon père ».

A l’issue du premier entretien Françoise se dit épuisée et dormit toute la nuit… Les troubles disparurent après quelques consultations. Elle intégra un groupe de préparation et accoucha très vite de sa petite « Fleur » !…

A 32 semaines, Nathalie allait être hospitalisée pour une MAP associée à un retard de croissance intra-utérin quand elle vint me voir. Elle pleurait beaucoup et parla spontanément du décès de sa petite sœur née prématurément et morte aussitôt après… Sa mère en avait été choquée au point de confier Nathalie à sa propre mère, qui l’avait donc élevée… Elle évoqua sa culpabilité : au fond, elle n’en voulait pas tellement, de cette petite sœur !… J’expliquai à Nathalie la jalousie de l’aîné qui est normale : il faut partager la mère ! Il alterne entre désirs de mort sur le bébé qui arrive, et attachement !

« Vous comprenez bien que lorsque cela arrive réellement, l’aîné peut se vivre responsable !… ».

Puis l’entretien mit à jour l’abandon de la mère de Nathalie par sa propre mère, pour d’autres raisons.

« Vous voyez lui dis-je, il a eu répétition. On peut imaginer que votre mère, petite fille, a pu se vivre coupable d’être abandonnée. L’enfant se dit : « c’est ma faute, je ne suis pas « aimable »… Elle rencontre votre père, elle accouche de vous, tout va bien et puis voilà que la petite sœur naît prématurément et meurt !  » Toute mère se sent de toute façon coupable, mais la voilà rattrapée par la culpabilité de l’enfance et donc, « traumatisée ».

Éclairer ainsi sur les modes de fonctionnement de l’inconscient adoucit les blessures et, ici « pansait » la culpabilité. Il n’y eut pas de tocolyse, les contractions s’arrêtant spontanément mais c’est en hospitalisation que je la suivis, le RCIU persistant malgré la thérapie et la préparation. Elle accoucha facilement à 39 semaines :

« Elle pèse 2 kg 150, mais elle va très bien » me dit-elle, en montrant sa fille…

Un poids de « prématurée », pensais-je intérieurement… fallait-il cela pour réparer la petite sœur ?

 

CONCLUSION


Nous voyons à quel point la grossesse peut être un remaniement psychique important, et spontanément, ou « accompagnée », un facteur de croissance pour la mère qui peut dépasser et transformer grâce à l’attachement progressif au bébé, les schémas négatifs du passé. Cependant actuellement, en axant la surveillance de la grossesse sur la « normalité » du fœtus (clarté nuquale, triple test, l’échographie de la 22ème semaine, pratiquement reconduite à la 30ème semaine) on oriente plutôt l’inconscient vers le doute : « je ne sais pas si je serai capable d’être mère, je suis très inquiète… alors j’ai peur d’accoucher ! ».

En inquiétant les mères, on les pousse vers l’accouchement surmédicalisé, avec toutes ses conséquences possibles. En inquiétant les mères, on crée un stress chez le fœtus.

Des recherches récentes interpellent sur le vécu de l’enfant in utero. Par exemple, Stéfania Maccari de l’INSERM de Bordeaux, au terme de recherches faites sur l’animal, confirme des observations assez semblables faites sur l’homme :
« il y a des effets à long terme d’un stress prénatal : dépression, troubles du sommeil, grande émotivité. En changeant l’environnement prénatal d’un individu, on change son comportement pour la vie ». (13)

L’intérêt de savoir tout cela, étant donné le stress maternel actuel, est la prévention de la pathologie de la grossesse et des troubles relationnels mère-enfant. Allier notre savoir médical à une connaissance psychologique plus précise de la femme qui devient mère, pourrait bien être un nouvel art d’accoucher nécessaire en ces temps de surmédicalisation, où la technique empiète sur le psychique.

BIBLIOGRAPHIE

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2. « Le bébé et sa mère » D.W. WINNICOTT(1896-1977), Pédiatre et psychanalyste.
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6. JUNG : Psychiatre et psychanalyste, élève de Freud jusqu’en 1914. A partir de lui se créé le courant psychanalytique Junglien.
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11. « Bases fondamentales de la maternité physique », Pr. Jean-Pierre RELIER, Néonatologie Port-Royal 1996.
12. Chercheur à l’Université Paris II, Membre du C.A. de « La cause des bébés », (Présidente Myriam SETCER).
13. Congrès de néonatologie Port Royal 1998 Science et Avenir n° 614, Avril 1998, Page 41.