Versant psychique de l’accouchement

 

 » Vivre, c’est choisir et choisir, c’est s’engager « . HUSSERL  

 


Dans cette étude il faut préciser que la clientèle (4500 cas) appartient à toutes les couches sociales. Ces femmes dites « normales » (puisqu’elles ne sont ni en précarité ni en décompensation névrotique ou psychotique) ont une demande : bien accoucher et/ou bien faire pour l’enfant. Elles sont donc très souvent volontaires pour un travail sur elles, de prise de conscience, avec comme outil de support les techniques sophroniques (cf.: la Préparation Globale).

 

1- PASSAGE SOMATO PSYCHIQUE

Le questionnement de la grossesse on l’a vu : « suis-je moi capable »? va être expérimenté au cours de l’accouchement. De même que la femme enceinte l’assimile à la bonne croissance de l’enfant, là c’est la bonne conduite de l’accouchement qui va le lui prouver. C’est ce que les femmes instinctives qui veulent « sentir », souhaitent expérimenter.

La grande disparité des temps de dilatation et des phases d’expulsion pour un même acte somatique parlent de l’influence du psychisme sur le « SOMA ». Pour Catherine Bergeret Amselek « l’accouchement contient en condensé, pourrait on dire, toute la maternalité qui se met en acte, qui se dramatise à travers le corps »(2) (rappelons que l’auteur a emprunté au psychiatre-psychanalyste Racamier le terme de maternalité : condensation de Maternel, Maternité et Natalité).

Avec les femmes qui travaillent sur elles ou qui sont instinctives, j’ai pu observer à certaines étapes de la dilatation des réminiscences spontanées d’événements marquants de l’enfance, ou de la relation à leur mère. J’ai compris peu à peu que donner alors un sens et les encourager à se positionner par rapport à l’enfant : « moi je ferai ainsi » accélérait la dilatation.

Cela devint donc une pratique courante pour moi amenant peu à peu à ma conscience l’hypothèse du double travail physique et psychique de l’accouchement. Lever une stagnation de la dilatation pouvait se faire par une prise de conscience : j’ai pu voir ainsi des allers et retours rapides entre le Moi/petite fille et le Moi/maman.

Il n’est pas impossible que la qualité de la présentation associée aux tensions musculaires pelviennes et/ou la posture ne le soit également aux tensions d’origine psychique : par exemple les sièges devenus fréquents depuis les décisions de césarienne pour siège. Or, à ce sujet l’hypothèse psychanalytique des sièges (en dehors de reproductions familiales), serait pour l’inconscient une tentative de « retarder » le moment de l’accouchement! De même au niveau de la douleur : pourquoi cette différence entre les femmes préparées et non préparées. Pourquoi y a-t-il des femmes non algiques ?…

Nous allons essayer d’apporter quelques réponses.

 

2 – LES DEUILS NÉCESSAIRE OU LE SENS DE LA DOULEUR

Celle qui accouche se « sépare », se détache de son bébé, mais aussi de ses positionnements inconscients, nous dirons de ses acquis. Ainsi elle va devoir :

1) renoncer à la fusion, source de plaisir, et se séparer de son bébé/fœtus.

2) renoncer à l’enfant qu’elle était.

3) renoncer à l’état gratifiant de la grossesse (on s’occupe de moi).

4) renoncer à son couple tel qu’il était et le repositionner.

5) connaître la surprise désagréable de la force des contractions, alors qu’elle était en « attente » du bonheur d’être mère… Passer par l’angoisse de la distension vaginale, pendant la poussée, dans ce lieu intime jusqu’à présent réservé au « compagnon » et source de plaisir.

6) si cela n’a pas été travaillé, renoncer à l’enfant imaginaire (et merveilleux) pour accueillir l’enfant réel.

« C’est normal que ça fasse mal, me disait récemment une future mère, c’est une séparation : quand mes parents se sont séparés, ça m’a fait très mal.

comment expliquez-vous alors qu’il y ait des femmes non algiques ? Elles sont rares, aujourd’hui, je vous l’accorde.

je pense qu’elles n’ont pas peur que le bébé ne soit plus seulement à elles »

Lors d’un remarquable congrès sur le « sens de la douleur » en 1995 (3) le Professeur Desprat, anesthésiste parle en terme de ressenti : il associe le sensoriel et l’émotionnel, tout en reconnaissant qu’il faut être très prudent, car le phénomène est difficile à appréhender.

S’il décrit bien les voies anatomiques, il évoque un aspect important de la douleur : « les facteurs psychiques, qui influencent et modifient l’intensité de cette douleur ».

Lors du même congrès le Dr Canion-yannoti nous livre son expérience d’analyste dans une maternité. Au sujet du sens de l’accouchement :

« Pendant l’accouchement, dans la perception de la douleur, l’événement doit prendre sens. C’est cela le psychisme en cause sinon l’épreuve à affronter n’est pas acceptable ce qui va être subi pendant le travail va être rejeté.

Pour Freud, neurophysiologiste, dans le système neuronal toute excitation reçue doit être écoulée et évacuée. Ce qui est subi et non accepté par manque de sens crée une rétention énergétique douloureuse au niveau de l’organisme. Et c’est cela qui majore la douleur des contractions, qui sans cela s’évacueraient au fur et à mesure de l’évolution de l’accouchement. Si la péridurale supprime la douleur de la contraction, elle n’agit pas sur la rétention douloureuse d’origine psychique  » Elle parle « des névroses traumatiques » qu’elle a eues à traiter chez certaines périduralisées : « c’est-à-dire des souvenirs de l’accouchement qui ne se refoulent pas ou ne se mettent pas à distance, après deux à trois jours de suites de couches…

Ces névroses viennent des modifications de l’organisme et des actes obstétricaux perçus avec effroi parce que ces femmes n’étaient pas prêtes à devenir mère ».

Etre contente de soi quelles que soient les modalités de l’accouchement semble être le signe (surtout pour les accouchements naturels) que le passage psychique a bien été fait et réussi, ce qui explique les discordances existant parfois entre notre analyse médicale et le ressenti maternel. J’ai pu observer aussi les coïncidences entre « être contente de soi » et l’investissement rapide de la fonction maternelle (présence psychique ou attachement et soins au bébé), ainsi que la réussite de l’allaitement maternel.

La réalité du passage psychique permet de mieux comprendre l’importance capitale de l’accompagnement et de l’entourage sur lequel la mère va pouvoir « transférer ». Aider au passage n’est pas « interférer ». Si ce n’est peut-être à moment donné pour convaincre et non obliger : pour devenir parent, il ne faut pas que les soignants infantilisent en rejouant le rôle des parents (cas clinique N°1).

Le « passage » permet de comprendre la signification des cris chez certaines femmes périduralisées : feraient-elles donc leur passage psychique ? Il serait intéressant de savoir si celles-ci investissent plus facilement leur fonction maternelle, sans avoir à passer par les syndromes dépressifs trop souvent décrits dans les suites de couche à long terme des femmes surmédicalisées.

Il me semble aussi que de même la maternalité connaît une première résolution au 9ème mois, l’accouchement mène encore à une autre étape vers 8 cm. Il y a alors passage dans un état second, j’ai nommé celui-ci : « niveau intermédiaire » entre la femme d’avant (celle qui « lutte ») et la mère…

Dans la symbolique de la montagne c’est l’avant dernier passage avant le sommet. Car (et c’est la raison de la perfusion de Syntocinon) il y en a un autre : la fin de la dilatation, appelée « les adieux » par Le Boyer. Celle ci voit un arrêt des contractions : c’est la pause bien méritée, la concentration nécessaire au grimpeur pour l’ascension de son sommet. C’est effectivement l’adieu à la grossesse : si on le respectait, il y aurait moins d’échecs de la poussée.

De même, les césariennes actuelles pour souffrance fœtale (sans circulaire, ni disproportion foeto-pelvienne) peuvent trouver leur origine dans la peur maternelle, au moment du passage.

Au risque de surprendre, il semble que l’accouchement puisse avoir une valeur pédagogique : en luttant contre la force des contractions, on lutte contre la douleur des deuils inconscients et nécessaires à faire pour devenir mère, d’où la sensation de force extraordinaire après un accouchement réussi (traduire : quand la mère est contente d’elle). La force nécessaire pour pousser l’enfant, la rencontre avec l’au-delà de soi-même (le dépassement), la sensation intense du passage marquent à jamais dans la mémoire cellulaire la filiation à cet enfant là. C’est cela « la porte des Mères » : le détachement, qui permet l’attachement. C’est là aussi, je pense, le sens de l’accouchement.

Il y a là tout un secteur de recherche sur lequel on pourrait se pencher, C’est ce que je proposerai dans un prochain article.

Ce sont quinze années de travail psychique et technique qui m’ont permis de repérer ces mécanismes. En les respectant, en les amenant à la compréhension des mères, j’ai vu celles-ci accélérer leur dilatation en élevant le seuil de la douleur J’ai observé aussi l’importance d’un accouchement facile et rapide sur la qualité d’attachement maternel et le développement de l’enfant.

 

3- TÉMOIGNAGES

Il s’agit des « associations » que peuvent vivre les femmes pendant la poussée :

1) « …en poussant je pensais à mon père et à ma mère, au devenir mère difficile de ma sœur, au devenir père de mon frère ».

2) « …en poussant, j’ai su que j’allais crier, ça ferait du bien car petite, ma mère me disait : « tais toi, tu cries trop »!

3) « …en poussant, j’ai réalisé qu’en fait j’aurais voulu un garçon, et c’est cela qui m’empêchait de pousser. Alors il y a un hurlement qui est venu. Mon père, en tout cas le garçon que je voulais pour le remplacer, mourait aussi en moi. C’est en hurlant mes adieux à mon père et mon fils que j’ai pu pousser ma fille !… Ce cri me libérait, plus jamais je n’y penserais !… Quand j’ai eu Manon dans les bras , j’avais tout oublié » (le père est décédé un mois avant le début de la grossesse).

4) « …en poussant je me disais : je veux pas le lâcher ! qu’ils partent tous ! qu’on me laisse, au secours !… et puis la sage-femme a dit :

« – quand la tête du bébé sera sortie c’est vous qui attraperez les bras pensez-y « !

mais j’ai plus de contractions !

pensez y et elles reviendront ! … Je crois que c’est la mine que faisait mon mari qui m’a décidée ! il semblait déçu. Alors j’ai attrapé ses mains et les contractions sont revenues !… (jeune femme abandonnée par sa mère et attendant une fille).

5) « …en poussant j’ai regardé la pendule : il était exactement l’heure que ma mère me montrait le matin : « regarde, il est 8 H 15, déjeune, tu vas être en retard ! », j’ai été tellement surprise que j’ai arrêté de pousser… c’est le moment où il a pris les forceps « …. (anorexique, sa mère l’obligeait à manger).

 

4- LE RÔLE DES PÈRES

Dans l’inconscient, le premier objet d’amour est la mère : c’est elle qui nous apprend notre relation à nous-mêmes et à l’autre. Pour nous, femmes, si le père sert de référence au choix du compagnon, c’est l’empreinte profonde de la mère qui va déterminer la relation. C’est schématique mais c’est à peu près cela.

La présence du futur père est très intéressante pour le psychisme maternel. Lorsqu’il n’est pas la reproduction des modèles parentaux, il protège la mère des régressions possibles. « Heureusement qu’il était là »! Cette phrase des jeunes mères m’a beaucoup interpellée. Qu’avait-il tant fait ? La plupart du temps, il nous montre ce qu’il croit être son impuissance et son émotion surtout si lui même a eu une naissance difficile qui a entretenu en lui la peur de l’accouchement. Il a lui aussi un grand passage psychique à faire : devenir père, sans transmission possible souvent de son propre père, absent à sa naissance et/ou (c’est l’époque actuelle) absent psychiquement.

Mais pourtant… informé, préparé, il devient celui qui accompagne le travail psychique, qui soutient la technique respiratoire et concentrative, tout en étant conscient aussi des gestes médicaux et de ses émotions !

Vivre l’accouchement dans cet esprit là c’est renforcer le couple dans son unité, en lui donnant une nouvelle dimension. C’est aussi déjà positionner le Père qui aidera la mère à se « séparer » plus tard de l’enfant (cf.: prochain article).

Histoire de placenta

Trois heures du matin. C’est l’heure des papiers en attendant à côté de L’accouchée, la délivrance. Tout le monde somnole : bébé dans son berceau, la mère sur la table, le père sur le tabouret, quand soudain il interroge :

« Mais qu’est ce qu’on attend ?

le placenta !

et alors ?? !! dit l’homme en regardant sa femme.

A peine le temps d’attraper le bassin : le placenta est là !…

Merveilleux moment où avoir le bébé et être encore enceinte se conjuguent au présent.

A l’origine de beaucoup de rétentions placentaires, le deuil de la grossesse se vit à reculons
celui-ci ne saignait pas, on pouvait laisser faire. Mais le père a agi !…

 

5- CAS CLINIQUES

Les cas évoqués font partie des psychothérapies effectuées il y a trois ans, au début de la surmédicalisation dans ma région. Il avait fallu installer un réseau autour du cabinet afin de traiter le plus rapidement possible ce que je n’avais jamais vu en douze ans de prévention : les traumatismes post-accouchements !

En « préparation globale » (4) les futures mères travaillent sur leurs « patterns » et leur devenir mère. Elles prennent conscience de leur projet personnel tout en s’appuyant sur les techniques sophroniques, ce qui a une action sur la douleur et la dilatation. Le problème de la surmédicalisation est le non-respect de la liberté de mouvements et du rythme propre à chacune : en cela aussi elle empiète sur le processus psychique… Avec le temps j’ai appris à affiner mes interrogatoires (quels sont vos patterns ?), à introduire beaucoup plus de psychologie et notamment la compréhension des mécanismes en cause pendant l’accouchement, ce qui a évité aux mères certains pièges, et a réduit considérablement les risques de traumatisme.

Pendant leur préparation, Marie-Ange, Christine et Sonia ont omis – (volontairement  ou pas) de parler d’une problématique de l’enfance ou de la grossesse – qui n’ont donc pas été « travaillés », c’est à dire amenés à la conscience. On va voir comment l’extraction instrumentale et/ou le manque d’écoute (bien involontaire) des structures actuelles surchargées de travail, vont faire ressurgir ces éléments du passé bloquant le processus du passage vers la fonction maternelle.

Ces exemples peuvent constituer un éclairage de l’étude californienne citée en introduction de « la grossesse psychique », mettant en évidence les relations existant entre des situations obstétricales difficiles (forceps, souffrance foetale, pré-éclampsie ou travail très long) associées au rejet maternel et la violence chez l’enfant devenu adulte (si les 2 conditions sont réunies on observe une augmentation considérable du risque de violences et de crimes à cet âge) (5).

Pourquoi y-a-t-il rejet ? C’est donc ce que nous allons comprendre.

Comment se manifeste t-il ?

Par l’absence d’attachement : la mère peut continuer à donner des soins de « nursing » ou ne pas les donner du tout : rendant le rejet évident.

Cas N°1

J’ai retrouvé Christine prostrée, quelques heures après l’accouchement, me disant : « je vis l’horreur ». Elle raconte son arrivée de nuit, dans un service surchargé, et les « reproches » (ou vécus comme tels) de la sage-femme lui disant : « Vous auriez pu attendre ! ». Elle était à dilatation complète et évoque sa sensation d’avoir été « bloquée » par cette phrase, paniquée au point qu’un médecin est venu (sans explication) mettre en place une extraction instrumentale : elle ne pouvait plus pousser : « et là, j’ai plongé dans l’horreur ».

Nous ferons vite le lien entre son enfance (reproche de la mère, brutalité du père alcoolique précipitant le soir sans explication ses enfants dans la cave) et son accouchement.

« Pourquoi n’en avoir pas parlé pendant la préparation ?

J’ai voulu oublier, me dit-elle. Cela fait vingt ans que je n’ai plus vu mes parents ».

Il faudra deux heures pour que Christine sorte de sa prostration et puisse prendre son bébé (qu’elle avait rejeté comme elle avait rejeté ses parents). Elle sera suivie dès sa sortie par le réseau.

Cas N°2

Un appel inquiétant à 8 heures du matin : « bonjour c’est Marie-Ange, je viens de  rentrer chez moi mais je ne peux pas m’occuper du bébé : j’ai peur de lui faire mal. Je ne peux pas rester seule avec lui, du coup c’est ma mère qui s’en occupe »!

Elle raconte la triade classique d’un grand Centre Hospitalier : déclenchement – péridurale – forceps.

« Ils disent que ça s’est bien passé, que le bébé a repris du poids, mais moi je vais très mal ».

Le réseau n’allant pas géographiquement jusqu’à son secteur, je lui demande de venir avec son bébé (une petite fille) et le mari si possible plutôt que la mère… Je la trouve agitée, « obnubilée » par le bébé qu’elle regarde fréquemment. L’entretien met à jour sa relation à « sa mère-qui-ne-la-quitte-pas » depuis qu’elle a divorcé de son père.

« cela vous pèse ?

je rentre ma colère… elle veut tout faire pour moi !

et votre petite fille ? à part cette peur, que ressentez-vous ? y a t-il un sentiment ?

c’est la colère qui vient, à cause de l’accouchement : eux ils disent que ça s’est bien passé ! moi j’ai l’impression qu’ils me l’ont arrachée !… Moi je ne voulais pas être déclenchée, mais eux ils disaient que ça m’aiderait « !

Il faudra un moment pour qu’elle trouve l’association entre la colère, non exprimée en tant que fille de sa mère, et la colère vécue en devenant mère de sa fille. Il a fallu des techniques thérapeutiques très puissantes (en sophrothérapie) pour que Marie-Ange investisse son Bébé.

Un pedo-psychiatre de son secteur a ensuite assuré le suivi.

Cas N°3

Il souligne l’idée « bien ancrée » que la douleur fait partie des éléments diagnostiques de la mise en travail. Sonia m’appelle à sa sortie de la maternité : « j’ai l’impression de ne pas avoir accouché. Et pourtant mon bébé est bien là ! Je ne ressens rien, je suis dans du coton ». Elle raconte que ressentant des contractions rapprochées et assez fortes, elle appelle la maternité pour prévenir de son arrivée. Au bout du fil,on l’interroge :

« les contractions sont-elles douloureuses ?

non, dit Sonia, pas vraiment !

alors ce n’est pas ça ! attendez qu’elles le soient pour venir »!

Une heure après, Sonia arrive en catastrophe, se retenant de pousser. Elle accouche aussitôt, aidée de son interlocutrice qui ne « reprend » pas la conversation  téléphonique et n’a pas vraiment le temps de l’accompagner…

Suivent quatre jours de « flottement » et c’est là où elle en est : je suggère un apparent décalage entre les deux accouchements. Si le physique a bien eu lieu, le psychique reste à faire !… Y aurait-il dans sa vie d’enfant une quelconque analogie avec ce qui s’est passé ?

Elle répond aussitôt :

« c’est simple : mes parents ne me croyaient jamais. Il fallait qu’ils soient devant l’évidence pour réagir.

Qu’en pensez-vous ? Ce ne serait pas un rappel de votre passé de petite fille qui bloque votre devenir mère ?

… oui… (en regardant son bébé) je ne lui ferai pas vivre ce que j’ai connu !… Mes parents ne m’ont jamais écoutée »! (professionnellement elle était avocate).

Avec son accord nous ferons le passage psychique en sophrothérapie. A la fin de la séance, en regardant ma montre, je constate qu’il s’est écoulé une heure, le même temps séparant le coup de téléphone et l’accouchement. Ces séances proposent un revécu en état sophronique et d’une façon non directive, de l’accouchement, en y ajoutant la fréquence émotionnelle. Cela demande de la part du thérapeute une grande prudence et une certaine formation.

Les facteurs traumatiques

Pour les trois cas, indépendamment des transferts émotionnels (régression de Christine et de Sonia, réactivation de la colère de Marie-Ange) il y a de toute évidence, le manque d’accompagnement.

Tout aurait pu changer pour Christine, si la sage-femme avait engagé le dialogue et/ou le médecin, expliqué son geste.

Pour Marie-Ange, c’est différent. Pour devenir Mère on l’a vu dans la « grossesse psychique » la fille a besoin de se « séparer » de sa mère, de faire elle-même son nid, symboliquement. Or ce mouvement instinctif était contrarié par la mère-qui-faisait-tout-pour-elle ! et la maternité a reproduit en déclenchant (« ça va vous aider ») tout en banalisant : (« tout s’est bien passé ») ce qui est une « non reconnaissance ». Dans l’incapacité d’agir par elle-même, sa colère contre sa mère, réactivée, elle la détournait maintenant vers l’enjeu de tous ces « blocages » : l’enfant.

La banalisation devient dangereuse. J’ai lu dernièrement sur un carnet de santé : « accouchement eutocique (spatules) ».

Le cas de Sonia est encore différent et plus fréquent. Le passage psychique est souvent décalé par rapport à l’accouchement physique. C’est d’ailleurs une des raisons du « baby blues ». Mais là, il s’agit d’un blocage, qui aurait pu être levé par la sage- femme, reconnaissant que son appel était justifié et lui permettant ainsi d’échapper aux conditionnements de l’enfance…

D’autre part dans une petite structure, elle aurait pu être entourée, reconnue et accompagnée dans sa difficulté. Au prix probable d’un baby blues elle aurait peu à peu intégré sa fonction maternelle. L’ennui, c’est qu’en cas de traumatisme ou de difficulté, les maternités de type II et III ne jouent plus assez leur rôle de « contenant ». Les dépressions du post-partum apparaissent après la sortie (souvent précoce : deux jours) et sont, la plupart du temps endormies par des psychotropes. Il n’y a donc pas d’élaboration psychique pour les mères (compréhension) d’où angoisse et selon les cas, délégation du rôle parental au pédiatre, à la crèche, etc…

D’autre part, le bébé « coupé » de la présence psychique de sa mère, vit des états de frayeur intense à un âge où il ne peut pas psychiquement « stocker l’information ». Le risque pour lui est une disproportion de réaction à un traumatisme ultérieur offrant la même intensité d’insécurité. (cf.: prochain article).

C’est au vu de ces difficultés maternelles, qu’on peut parler du rôle pédagogique de l’accouchement. Au questionnement de la maternalité : « suis-je capable d’être mère » ?, la réponse immédiate pour Christine, Marie-Ange et Sonia a été : NON.

« Moi, tout seul »! dira l’enfant pour s’individuer. « Je l’ai fait toute seule » doit pouvoir inconsciemment penser la jeune mère.

D’où la frustration des césariennes, de certaines périduralisées et/ou extractions instrumentales.

Car mettre au monde un enfant, c’est le mettre dans le Monde : c’est la mise en acte du rôle Parental. Cet acte fait appel :

à une notion de Puissance donc,
une force physique et psychique permettant de sortir de l’enfance.

à une notion de temps aussi : il y a un moment où l’inconscient est prêt, ce n’est pas avant, d’où la nécessité du respect du rythme de chacune. Dans mon expérience personnelle je l’ai aussi ressenti. A travers les récits de mes patientes j’ai noté l’importance de se séparer volontairement et activement de son bébé/fœtus pour pouvoir passer de l’état d’enfant à celui de parent.

Et, on l’a vu aussi, quand le corps garde la mémoire du passage, il y a vraiment conscientisation de la filiation à cet enfant-là !

Enfin c’est à travers l’histoire de centaines de mes patientes me parlant de leur mère que j’ai observé comment ces dernières avaient accouché par rapport à leur relation à leur propre mère et à la place affective qu’elles occupaient, petites filles, dans leur famille. Ensuite, comment certaines pouvaient « dépasser » un accouchement difficile et avoir un comportement « sécure » avec leur propre fille, et d’autres non, car un vécu de l’enfance avait été renforcé, les laissant « traumatisées ».

Il était important d’identifier cela pour que, par fidélité inconsciente certaines futures mères ne reproduisent pas l’accouchement de leur propre mère.

CONCLUSION

On ne peut nier l’évolution de l’obstétrique vers « l’assistanat ».

L’inquiétude des mères, le déni actuel de la douleur, la pression de l’accréditation et du médico légal justifient la technologie.

A aucun moment de notre histoire, on ne nous a proposé à nous, femmes, une compréhension du sens de la douleur et des moyens de la transformer. Nous l’avons donc subi, l’influence judéo-chrétienne faisant le reste…

Or la douleur a un sens, nous l’avons vu, elle est un signal d’étapes émotionnelles à traverser, analogue à la douleur « psychique » des analysants ou des dépressifs : quand on en comprend l’origine, elle disparaît. « Ce qui est subi et non accepté par manque de sens crée une rétention énergétique douloureuse au niveau de l’organisme »(3).

Il ne s’agit pas de convaincre les femmes qui demandent une réponse chimique : l’expérience m’a montré que lorsqu’on a été douloureusement enfant de ses parents, on ne veut pas devenir « douloureusement » parent de son enfant : il convient d’expliquer cela et de le respecter quand le choix persiste.

De même expliquer le sens de la douleur aux hésitantes ou à celles qui veulent vivre le passage me semble capital.

C’est la systématisation actuelle qui est dangereuse surtout pour celles qui veulent être actives pendant l’accouchement, car en se technicisant la médecine empiète, on l’a vu, sur le versant psychique de la maternité.

Des centaines d’études archivées à Londres (6) similaires à l’étude californienne, alarment sur les effets à long terme des pratiques obstétricales sur la vie de l’individu venu au Monde.

 

Il est donc fondamental d’aider la mère et de protéger l’enfant, en leur

permettant  une grossesse sereine et un accouchement non traumatisant.


Nous ne pouvons le faire actuellement qu’en développant, outre notre savoir médical, la connaissance de ce qui se passe dans l’inconscient  d’une femme qui devient mère.

Nous avons vu dans l’article précédent, que nous allions pouvoir agir plus efficacement sur les pathologies de la grossesse.

En ce qui concerne l’accouchement, nous pouvons en prévention, en expliquer toute l’implication psychologique, et en proposant des techniques à visée psychique puisqu’elles facilitent l’accouchement, avoir une action réelle sur la douleur et la dilatation : je pense à la sophrologie et à l’haptonomie.

Ensuite, en nous aidant de la recherche et de notre compréhension du psychisme féminin nous pouvons faire comprendre que l’enjeu est bien plus important qu’on ne pense.

Et pour défendre l’accouchement naturel, nous pouvons nous appuyer sur l’argument suivant : l’accouchement met en jeu pour la mère toute une élaboration psychique dont il est la somatisation. Ses modalités vont influencer non seulement sa qualité relationnelle à son enfant, mais à long terme toute la vie de celui-ci.

« En surmédicalisant, les connaissances actuelles montrent que nous faisons de la mère et de l’enfant des individus à risque psychique ».

 

BIBLIOGRAPHIE

1) La grossesse psychique. MH de VALORS Dossiers de l’obstétrique octobre 2000.
2) Le MYSTERE des MERES. Catherine BERGERET- AMSELEK éditions Desclée de BROUWER 1998.
3) Actes du congrès sage-femme International Biarritz 1995.
4) La préparation globale. MH de VALORS Dossiers de l’obstétrique mars 1999.
5) Progrès en Néonatologie. cahier n°15 page 224. XXV ème journées Internationales de PORT-ROYAL.
6) Science et Avenir n° 614, avril 98, page 48.